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L'oxygène et la vie : tome 1 - Initiation au métabolisme de l'oxygène

C Deby et G Deby-Dupont


 

      Chapitre XVI: Conclusions finales

            " Il n'y a peut-être point de vérité qui ne soit à quelque esprit faux matière d'erreur"

                                                         Vauvenargues

 

Dans cette introduction, nous avons constaté que si nombre de faits sont solidement établis, un certain nombre d’hypothèses continuent à relever de l’imagination la plus débridée. Revoyons rapidement ce panorama d’idées.

1. Les réalités

Tout ce qui a été dit dans les chapitres précédents démontre la pertinence de l'appellation métabolisme de l'oxygène pour désigner tous les mécanismes produisant des dérivés obtenus à partir de l'oxygène atmosphérique.

Insistons encore sur la faible réactivité de l’oxygène (hormis l’oxygène singulet et l’ozone) dans les conditions biologiques. Cette inertie chimique exige le concours d’enzymes et de catalyseurs (où les métaux de transition jouent un rôle majeur) pour franchir le pas endothermique de la réduction de l’oxygène en anion superoxyde.
Cette notion implique que la participation de l’oxygène au métabolisme général est dirigée et régulée de manière précise par action sur les enzymes concernées, oxydases et oxygénases, et sur les catalyseurs métalliques. De cette manière, l’élément O2 n’est pas toxique pour les êtres vivants aérobies dont nous faisons partie. C'est la méconnaissance de cette régulation qui conduit aux exagérations parfois insupportables qui attribuent notamment les phénomènes de vieillissement à une "oxydation" permanente. Il est temps aussi de restaurer l’image favorable de l’oxygénothérapie qui fut si malmenée il y a vingt ans.

Bien sûr, au cours du métabolisme de l’oxygène apparaissent des formes radicalaires transitoires, souvent très réactionnelles. Celles-ci sont soumises à des contraintes d’environnement qui empêchent leur diffusion vers des sites où elles pourraient être nocives. Il existe des conditions où certaines réactions, échappant aux contrôles homéostatiques, produisent en excès des formes activées de l'oxygène. Cette pathologie du métabolisme de l’oxygène sera traitée dans une seconde partie de cette Initiation : « L’oxygène en pathologie des mammifères ».
Enfin, les ROS peuvent jouer un rôle normal dans certains processus de transmission du signal et sont donc nécessaires à la vie. Leur production est évidemment soumise à un strict contrôle des mécanismes.

 2. Les mythes

On peut lire dans une certaine presse médicale, et surtout dans les articles publicitaires consacrés aux traitements "antiradicaux libres", de véritables histoires de science-fiction où les tribulations des "bonnes molécules" relèvent de l'épopée de la conquête californienne. Des dessins fantaisistes ne reposant sur aucune base scientifique viennent corroborer ces élucubrations.
Une littérature « para-scientifique » existe pour la promotion de produits commerciaux tels que cosmétiques, aliments de diététique et médicaments « non officiels » doux. Mais hélas, les légendes les plus farfelues prolifèrent parfois dans des articles de revue paraissant dans des journaux médicaux sérieux. Relevons quelques perles :

- les électrons libres qui voyageraient tels des terroristes, prêts à accomplir leurs méfaits, mais contre lesquels de sages thérapeutes lancent une variété d’antioxydants.

- le fer Fe2+, lui aussi dangereux baladeur, qui dès qu’une molécule d’H2O2 est formée, produirait une agressive réaction de Fenton.
Il est courant d'invoquer, dans les discussions qui terminent des articles démontrant une génération d'anion superoxyde, la présence inévitable d'ions de métaux de transition qui vont transformer le peroxyde d'hydrogène, issu de la dismutation de l'anion superoxyde, en ROS dangereux. La discussion s'arrête là. Cette idée que des ions Fe2+ pourraient errer librement dans le cytosol, alors qu'il y a tant de structures pour les fixer et les maintenir à l'état Fe3+, nous apparaît aujourd'hui de plus en plus farfelue. Il ne faut jamais perdre de vue le formidable encadrement des métaux de transition dans les tissus et les liquides biologiques. L'existence de réactions de Fenton in vivo est considérée par des physico-chimistes tels que Koppenol comme parfaitement illusoire.

- l’indéracinable croyance en la survie de NO dans les milieux oxygénés. La thérapeutique par le NO comme vasodilatateur est basée sur la facilité avec laquelle le monoxyde d'azote forme des complexes labiles qui transportent cette molécule sur les lieux où elle doit agir.

- l'abus d'antioxydants stœ chiométriques, parfois dangereux et souvent coûteux et inutiles.

- la toxicité de l'oxygène.
Les biologistes qui n'ont pas dépassé le stade des conceptions du début des années 1980 qualifient encore l'oxygène de Janus bifrons, personnage mythologique aux deux visages, en voulant illustrer l'idée que O2 aurait deux aspects opposés : l'un bénéfique, l'autre toxique. La comparaison n'était certainement pas valable, car Janus était plutôt bienveillant. Son double visage témoignait de sa capacité de voir non seulement les vérités passées, mais encore celles à venir.



Janus bifrons

Cette allégorie sera plus correctement exprimée par le personnage littéraire de RL Stevenson qui est le paisible docteur Jekyll le jour,

Jekyll et Hyde
                         ... mais la nuit devient le bestial Mr Hyde.

 

 3. Les dangers de la simplification

L'énorme différence entre une expérience poursuivie in vitro et la situation réelle in vivo échappe souvent, même aux chercheurs avertis. Pour donner un exemple, au début des années 1980, on publia le résultat d'essais in vitro où la ferritine et la transferrine apparaissaient comme des facteurs facilitant les peroxydations provoquées par les ions métalliques qu'elles véhiculaient. Sans la moindre hésitation, les auteurs ont transposé ces résultats à ce qui devait se passer in vivo. C'était méconnaître totalement l'effet majeur de l'environnement moléculaire intracellulaire. Actuellement, on sait que ni la ferritine, ni la transferrine, ni la céruloplasmine ne produisent de ROS lorsqu'elles se trouvent dans leur cadre naturel. Les observations réalisées in vitro ne sont donc pas toujours directement extrapolables aux phénomènes vivants.
Un autre bon exemple est celui du tocophérol. Il fut d’abord nommé vitamine E et semblait intervenir dans le développement sexuel des jeunes animaux. Puis des expériences in vitro démontrèrent que le tocophérol inhibait efficacement la peroxydation des lipides. Pendant plusieurs décennies, toutes les recherches menées sur les quatre formes naturelles du tocophérol portèrent sur cette capacité antioxydante. Cette conception du tocophérol antioxydant a longtemps masqué d’autres propriétés peut-être bien plus importantes et qui sont de nouveau à l’étude.

Quant à la valeur protectrice ("anti-oxydante") d'un aliment vis-à-vis des ROS, pour l'apprécier, il ne suffit pas de mesurer ses capacités directes de modifer le potentiel redox in vitro, mais il faut surtout connaître ses aptitudes à inhiber les enzymes pro-oxydantes in vitro et sur cellules. Ainsi, le diphényliodonium modifie peu l'environnement redox, mais si celui-ci dépend de l'activité d'une NOX, son activité sera intense, à faible molarité. De même, le KCN ne modifie pas le potentiel redox et n'est donc pas un "antioxydant", mais il inhibe les cytochromes qui eux, modifient ce potentiel.
Déterminer la capacité "antioxydante" d'un aliment exige également de connaître sa teneur en cystéine (un composant du GSH), en Se (cofacteur de la GSH peroxydase), ... et de déterminer son action modulatrice sur les enzymes comme les NOX, la myéloperoxydase, etc....

4. Nécessité de relancer la recherche sur les inhibiteurs des enzymes oxydantes.

voir chapitre XV.

5. Importance de la multidisciplinarité

Les conceptions développées dans cette initiation sont le résultat de plus de 15 années de discussions et de séminaires au sein d'un centre fréquenté par des physiciens, des chimistes, des biochimistes, des botanistes, des vétérinaires, des pharmaciens et des médecins. Nous tenons à remercier tous les membres du CORD qui ont collaboré de cette façon à l'élaboration de ce travail.