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L'oxygène et la vie: tome 1 - Initiation au métabolisme de l'oxygène

C Deby et G Deby-Dupont


Chapitre XI: Formes particulières de O2

      
1. L'oxygène singulet

       aurore boreale
         Fig. XI-1: Aurore boréale.

    structure oxygene singulet

Fig. XI-2 : Comparaison entre la structure électronique de l'oxygène fondamental (celui que nous respirons), qualifié de triplet de par sa conformation biradicalaire (d'où le 3 en exposant de précession : 3O2), et celle de l'oxygène à électrons uniformément appariés ou oxygène singulet (d'où le 1 en exposant : 1O2).

Il faut fournir 22 kcal (énergie élevée rarement fournie par les réactions biochimiques) à l'oxygène "ordinaire" pour le transformer en singulet.
Comme il est montré au chapitre VI, fig. VI-7, l'oxygène singulet n'est plus biradicalaire, car ses deux électrons libres sont appariés. Dès lors, cette forme d'O2, échappant à la règle d'interdiction de spin, devient très réactionnelle, vis-à-vis notamment des structures non saturées abondantes dans les membranes, et constitue un puissant initiateur de cycles de peroxydations. 1O2 est très instable. Il peut apparaître durant les cycles de peroxydation lipidique, amplifiant ainsi les processus d'autoxydation. Il se forme probablement au cours de l'attaque de l'eau oxygénée par la myéloperoxydase, durant la phagocytose (voir chapitre XIII), mais son origine la plus fréquente semble être la voie photochimique; divers sensibilisateurs, tels que l'hypéricine du millepertuis, l'huile de bergamote ou les porphyrines libérées durant les diverses formes de porphyries, produisent de l'oxygène singulet au niveau de la peau exposée à la lumière visible, avec les conséquences cellulaires découlant de la peroxydation lipidique.


formation de l'oxygène singulet
Fig. XI-3 : Formation de l'oxygène singulet par action d'un photosensibilisateur.


2. L'ozone
a) Propriétés et modes de formation
Dès le 19ième siècle, les électriciens qui purent réaliser des étincelles électriques remarquèrent une odeur spéciale, alliacée, qui provenait des engins (bobine de Rumhkorff par ex.) qui produisaient ces étincelles. Le chimiste Schonbein découvrit qu'il s'agissait d'une forme allotropique de l'oxygène qu'il baptisa ozone, du grec οζειν (sentir). Soret établit la structure de cet oxygène puant qui est formé de 3 atomes. La formation d'ozone exige un apport important d'énergie fourni par les ultra-violets ou les étincelles électriques (réaction endothermique).


equation de formation

L'ozone est faiblement paramagnétique; c'est un puissant agent d'oxydation, ayant un potentiel standard de + 2,07 volts (Weast, 1977)                       
         O3 + 2 H+  +  2 e-  <====> O2  +  H2O
O3 réagit énergiquement avec nombre de composés organiques et inorganiques (nitrites, amines, nitriles, alcanes, alcènes, etc …) à température ordinaire (Atkinson et Carter, 1984; Pryor et al., 1982). Ce gaz réagit par attaque électrophilique avec les composés sulfhydrilés. Il forme des sulfoxydes et des sulfones avec la méthionine (Bailey, 1982) et de l'acide sulfonique avec les disulfures. O3 attaque également les composés aromatiques (Yamamoto, 1979).

ozonisation 
                               avec formation de deux aldéhydes + 1 H2O2 (en présence d'H20).

Fig. XI-4 : Caractère instable des ozonides en milieu aqueux.

Devenir des ozonides:
Extrêmement instables, ils se décomposent à température ordinaire en couple d'aldéhydes, en générant du peroxyde d'hydrogène.

Formation de l'ozone dans la nature
L'ozone est normalement présent dans la basse atmosphère, durant le jour, à la concentration de 0,04 ppm. Cette concentration s'élève de manière indésirable dans les régions industrialisées où sa principale origine se trouve dans un processus photochimique impliquant les rayons UV d'une part et les oxydes d'azote (pollution industrielle) ainsi que les hydrocarbures (essence non brûlée par les moteurs d'automobiles) d'autre part. Observée d'abord à Los Angeles (dans le "smog"), la pollution à l'ozone a été constatée dans un nombre croissant de grandes villes industrielles des USA, puis en Europe. 

Mécanismes de formation:
Dans la biosphère, l'ozone se forme au cours des réactions dues à la présence simultanée de pollutions par les oxydes d'azote et les vapeurs d'essence incomplètement brûlées et d'irradiation ultra-violette d'origine solaire:

    formation de l'ozone
            formation ozone bis
Fig. XI-5 : Formation de l'ozone.

b) Effets biochimiques
L'ozone agit:
       a) comme oxydant des chaînes lipidiques,
       b) comme générateur de peroxyde d'hydrogène et, par cette voie, d'espèces oxygénées activées et de radicaux libres,
       c) comme précurseur d'aldéhydes.
Des concentrations supérieures à 0,15 ppm produisent des changements biochimiques notables, tant pulmonaires qu'extra-pulmonaires (Goldstein, 1979).
La mort peut survenir par œdème pulmonaire (LD50 : 25-40 ppm/heure : concentration multipliée par le temps d'exposition) (Goldstein et coll.,1973). Un phénomène d'adaptation humaine à l'ozone est bien reconnu : l'exposition aux doses sub-létales entraîne une tolérance progressive, s'expliquant par la biosynthèse de systèmes enzymatiques protecteurs (Hackney et coll., 1977).

1. Oxydation des chaînes lipidiques
Des signaux radicalaires furent observés, dès 1967, durant l'ozonisation de l'acide linoléique (Goldstein et coll., 1968; Pryor et coll., 1976), les lipoperoxydes formés pouvant se décomposer, par réaction avec l'ozone, en radicaux libres: 

ROOH  +  O3 ----------> ROO  +  OH  +  O2      
(Mustafa, 1990)   

Au cours de cette ozonolyse des chaînes grasses, il se produit un "zwitterion" (ion possédant à la fois une charge positive et une charge négative), lui-même capable d'induire des peroxydations lipidiques (Roehm et coll., 1971)

 zwitterion

2. Lipoperoxydations pulmonaires induites par l'ozone (Fletcher et Tappel, 1973)
On a mis en évidence des diènes conjugués dans les tissus pulmonaires de rats exposés à 0,4 ppm pendant 4 heures et 0,7 ppm pendant 5-7 jours.

3. Bibliographie

Oxygène singulet
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Ozone
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